Privatisations au Cameroun : Le peuple paie, les acquéreurs jouissent d'une impunité criante

Depuis les années 2000, le Cameroun a connu une vague importante de privatisations dans plusieurs secteurs stratégiques de son économie. Parmi les entreprises emblématiques figurent la Société Nationale d'Électricité (SONEL), la Société Nationale des Eaux du Cameroun (SNEC), devenue Camwater, la Chocolaterie confiserie du Cameroun (CHOCOCAM) et la Cameroun Airlines (CAMAIR). Ces privatisations, souvent présentées comme des leviers de modernisation et d'efficacité, ont laissé derrière elles un bilan économique et social contrasté, marqué par des controverses sur la gestion, la responsabilité des acquéreurs et les conséquences pour la population camerounaise.
La SONEL, autrefois fleuron de la production et de la distribution d'électricité au Cameroun, a été privatisée au début des années 2000. Avant cette privatisation, la SONEL assurait une couverture électrique relativement étendue, malgré des difficultés techniques et financières récurrentes. La privatisation a conduit à la cession de la majorité des parties à des intérêts privés, notamment étrangers, avec la promesse d'améliorer la qualité du service et d'attirer des investissements. Cependant, la réalité a été tout autre. La gestion privée a souvent été signalée pour son manque de transparence, la dégradation des infrastructures, des coupures fréquentes et une augmentation significative des tarifs, impactant lourdement les ménages et les entreprises. Sur le plan social, la réduction des effectifs et la précarisation des employés ont été des conséquences directes, tandis que l'État a dû intervenir à plusieurs reprises pour renflouer la société ou réguler les prix.
La SNEC, transformée en Camwater et Camerounaise des eaux (CDE), a suivi un parcours similaire. Avant sa privatisation partielle, cette entreprise publique gérait la distribution d'eau potable avec des défis liés à l'accès inégal et à la vétusté des infrastructures. La privatisation, qui a vu l'entrée de capitaux privés dans la gestion, devait permettre une meilleure couverture et une gestion plus efficace. Pourtant, les résultats ont été mitigés. Si certains investissements ont été réalisés, la qualité du service reste inégale, avec des coupures fréquentes et une tarification souvent jugée excessive pour une large partie de la population. La responsabilité des gestionnaires privés est régulièrement mise en cause, mais aucune sanction juridique significative n'a été appliquée, illustrant une impunité criante.
CHOCOCAM, acteur majeur de la filière cacao, a également été privatisée dans ce contexte. Avant la privatisation, cette entreprise publique jouait un rôle central dans la régulation du marché et le soutien aux producteurs. La privatisation a entraîné une restructuration profonde, avec une ouverture à des investisseurs privés. Toutefois, la gestion privée a souvent été accusée de privilégier les intérêts financiers au détriment des producteurs locaux, avec des retards de paiement, une baisse du soutien technique et une précarisation accumulée des petits planteurs. Le bilan social est donc lourd, avec une augmentation de la pauvreté rurale dans les zones de production.
Enfin, la CAMAIR, compagnie aérienne nationale, a connu une privatisation partielle dans les années 2000, dans un contexte de difficultés financières chroniques. Avant la privatisation, CAMAIR assurait un service aérien national et régional, malgré des contraintes budgétaires et techniques. La gestion privée devait permettre une modernisation et une meilleure compétitivité. Cependant, la compagnie a continué à accumuler des pertes, avec une dégradation du service, des suppressions de lignes et une instabilité du personnel. L'État a dû intervenir à plusieurs reprises pour recapitaliser la société, souvent à des coûts bien supérieurs au prix initial de cession.
Un point commun à ces privatisations est l'irresponsabilité juridique quasi totale des acquéreurs privés. En effet, malgré des bilans souvent catastrophiques, ces derniers jouissent d'une impunité manifeste sur le territoire camerounais. Les mécanismes de contrôle et de sanction sont faibles, voire inexistants, ce qui permet à ces acteurs de poursuivre leurs activités sans rendre compte des conséquences sociales et économiques de leur gestion. Cette situation oblige fréquemment l'État à reprendre la main sur ces entreprises, souvent à des prix largement supérieurs à ceux de la privatisation, au détriment des finances publiques.
Ce constat met en lumière une réalité douloureuse : ce sont les populations camerounaises, à travers leurs impôts, leurs factures d'électricité ou d'eau, et leur précarité sociale, qui paient le prix de ces échecs. Les promesses de modernisation et de développement économique se heurtent à une gestion opaque et à une absence de responsabilité, laissant le peuple dans une situation de double peine.
En conclusion, le bilan des privatisations des entreprises majeures au Cameroun depuis les années 2000 est marqué par une série de contradictions et d'échecs. Si la logique économique de l'ouverture au privé pouvait sembler prometteuse, la réalité montre que sans un cadre juridique strict et une gouvernance transparente, ces opérations peuvent aggraver les inégalités et fragiliser les services publics essentiels. Le camerounais, loin d'être bénéficiaire, se trouve souvent victime d'un système où les acquéreurs privés jouissent d'une impunité criante, et où l'État doit intervenir en dernier recours, souvent à un coût élevé.
Ce bilan appelle à une réflexion profonde sur les politiques de privatisation et sur la nécessité d'un contrôle rigoureux, afin de garantir que les intérêts nationaux et sociaux soient véritablement protégés et que les populations ne soient plus les premières victimes de ces choix économiques.
Gontran Eloundou
Analyste politique
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