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Élections sous tension : le tribalisme comme stratégie politique ?

Le tribalisme électoral : une résurgence cyclique

À chaque échéance électorale au Cameroun, le tribalisme refait surface comme un spectre latent. Ce phénomène, loin d'être nouveau, s'ancre dans une histoire politique marquée par la fragmentation identitaire. Les élections deviennent alors un catalyseur de discours communautaire, où l'appartenance ethnique supplante le débat d'idées. Le tribalisme électoral s'exprime dans les discours, les slogans, les alliances et même dans les stratégies de communication. Cette dynamique, analysée par André Mbeng dans Tribalisme, idéologie et jeu politique au Cameroun, révèle une instrumentalisation récurrente du sentiment tribal aux fins de mobilisation politique.

La communautarisation du discours à l'approche des résultats

À mesure que la proclamation des résultats approche, le discours politique se communautarise. Les candidats et leurs soutiens réactivent les clivages ethniques pour justifier une victoire ou contester une défaite. Ce glissement sémantique transforme les revendications politiques en affirmations identitaires. Les réseaux sociaux deviennent alors le théâtre d'une polarisation exacerbée, où les narratifs tribaux sont relayés, amplifiés et parfois manipulés. Le tribalisme électoral se mue en stratégie de légitimation ou de victimisation, brouillant les repères démocratiques et alimentant les tensions.

 Les acteurs politiques et la promotion sournoise du tribalisme

Certains hommes politiques, de tous bords, participent à la diffusion sournoise de discours tribalistes. Par des insinuations, des références codées ou des appels à la « communauté », ils activent des ressorts identitaires pour renforcer leur base électorale. Cette stratégie, bien que rarement assumée publiquement, est perceptible dans les discours de campagne, les choix d'alliances et les réactions post-électorales. Le tribalisme devient alors un outil de segmentation électorale, au détriment du vivre-ensemble et de la cohésion nationale.

 Journalistes et influenceurs : relais numériques du discours tribal

Les médias et les influenceurs jouent un rôle central dans la propagation du tribalisme électoral. Certains journalistes, parfois recrutés par des partis politiques, orientent leur ligne éditoriale vers des narratifs communautaires. Sur les réseaux sociaux, des influenceurs amplifient ces discours, souvent en échange de faveurs ou de financements. Le tribalisme devient viral, porté par des contenus émotionnels, des vidéos clivantes et des hashtags polarisants. Cette dynamique numérique renforce la communautarisation du débat politique et fragilise l'espace public.

 Une stratégie partagée par tous les camps politiques

Contrairement à une idée reçue, le tribalisme électoral n'est pas l'apanage d'un seul camp. Tous les acteurs politiques, qu'ils soient au pouvoir ou dans l'opposition, utilisent à des degrés divers les ressorts identitaires pour mobiliser. Cette stratégie transversale révèle une crise du projet politique, où l'ethnie devient le principal vecteur de légitimation. Le discours communautaire supplante les programmes, les visions et les débats de fond. Cette banalisation du tribalisme électoral constitue une menace pour la démocratie camerounaise.

 Les risques de la tribalisation du jeu politique

La tribalisation du jeu politique expose le Cameroun à des risques majeurs. Elle fragilise la cohésion sociale, alimente les tensions interethniques et peut déboucher sur des violences post-électorales. Le tribalisme électoral mine la confiance dans les institutions, réduit l'espace du débat démocratique et favorise le repli identitaire. À terme, cela peut nuire à la stabilité du pays et entraver la dynamique de développement. Comme le souligne Bienvenu Mbila Enyegue, le tribalisme est une menace régressive pour les sociétés démocratiques modernes.

 Vers une régulation du discours communautaire

Face à ces dérives, une régulation du discours communautaire s’impose. Les institutions électorales, les médias et les plateformes numériques doivent mettre en place des mécanismes de veille et de sanction. L'éducation civique, la formation des journalistes et la responsabilisation des influenceurs sont des leviers essentiels. Il est également crucial de promouvoir des narratifs alternatifs, fondés sur l'unité, la diversité et le débat d'idées. La lutte contre le tribalisme électoral doit être collective, transversale et proactive. 

 Pour une démocratie inclusive et apaisée

Le Cameroun ne peut construire une démocratie solide sur des fondations tribalistes. Il est urgent de repenser le jeu politique, en valorisant les projets, les compétences et les idées plutôt que les origines. Les élections doivent être un moment de débat, de choix et de construction collective, et non une guerre de communautés. En déconstruisant les mécanismes du tribalisme électoral, le pays peut ouvrir la voie à une démocratie inclusive, apaisée et résiliente. C'est à ce prix que l'unité nationale pourra être préservée.

Gontran Eloundou

Analyste politique

+237 673 933 132

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