Cameroun : le redécoupage administratif : Modernisation administrative ou recomposition électorale ?

Le gouvernement camerounais envisage de porter le nombre de départements de 58 à 70, en créant 12 nouvelles entités administratives. Officiellement, cette réforme vise à rapprocher l’administration des citoyens et à mieux encadrer la croissance démographique. Mais derrière ce discours de modernisation, se dessine une véritable reconfiguration politique qui ne laisse personne indifférent.
La modernisation affichée repose sur l’idée que davantage de départements permettront une meilleure accessibilité des services publics, notamment pour les populations rurales. Dans certaines zones où l’urbanisation explose, le redécoupage apparaît comme une réponse logique aux besoins de gouvernance. Le gouvernement met également en avant le renforcement de la décentralisation, en donnant plus de visibilité et de légitimité aux conseils régionaux et départementaux.
Pourtant, cette rationalisation est contestée. Les critiques dénoncent une inflation administrative coûteuse, avec des doublons institutionnels qui risquent d’alourdir les charges de l’État. Dans un contexte budgétaire contraint, la multiplication des structures apparaît comme une fuite en avant. Certains partis, comme le PURS, proposent au contraire de réduire drastiquement le nombre de régions et de départements afin de rationaliser la gouvernance et d’éviter une bureaucratie hypertrophiée.
Au-delà des arguments techniques, les enjeux électoraux dominent le débat. Chaque nouveau département implique de nouveaux élus locaux et donc de nouvelles zones d’influence politique. Le découpage est perçu par l’opposition comme une manœuvre destinée à renforcer l’ancrage du RDPC dans des zones sensibles. À quelques mois de la présidentielle et des régionales, cette réforme devient un instrument stratégique dans la recomposition des alliances locales et dans la préparation de la succession présidentielle.
Ce découpage se transforme ainsi en une véritable bataille des cartes. Pour le gouvernement, il s’agit d’un outil de modernisation et de légitimation. Pour l’opposition, c’est une manœuvre électorale visant à redessiner les équilibres territoriaux. Pour les citoyens, la question reste ouverte : cette réforme améliorera-t-elle réellement leur quotidien ou servira-t-elle surtout à consolider des positions politiques déjà établies ?
Le Cameroun est engagé dans une bataille où la géographie administrative se confond avec la géopolitique électorale. Derrière les promesses de modernisation, la rationalisation reste fragile et les enjeux électoraux dominent. Plus qu’un simple découpage, c’est une reconfiguration du pouvoir qui se joue, avec des conséquences directes sur la décentralisation et sur la démocratie locale.
Gontran Eloundou
Analyste politique
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