- “Psychopathes politiques” : insulte ou stratégie ? La tribune qui divise
Tribune incendiaire et démocratie sous tension : quand Fame Ndongo psychiatrise l'opposition
Le 23 octobre 2025, dans une tribune au ton tranchant, Jacques Fame Ndongo, ministre d'État et figure intellectuelle du RDPC, a qualifié certains opposants de « psychopathes politiques », dénonçant leur posture de « présidents imaginaires ». Ce texte, intitulé « Président auto-proclamé élu : le nouveau statut imaginaire des psychopathes politiques » , vise directement Issa Tchiroma, candidat du Front pour le Salut National du Cameroun (FSNC) soutenu par l'Union pour le Changement, qui revendique sa victoire à la présidentielle 2025. Une sortie qui, au-delà de la provocation, révèle les tensions profondes du moment.
Dans un contexte de contentieux électoral marqué par le rejet des recours par le Conseil constitutionnel, cette tribune s'inscrit dans une stratégie de récit contre-offensif. Elle cherche à disqualifier les revendications de l’opposition en les ramant à une pathologie, une dérive mentale. En qualifiant Tchiroma de « bouffon » et de « psychopathe politique », Fame Ndongo ne débat pas : il psychiatrise le désaccord, une posture qui interroge sur la qualité du débat démocratique.
Cette rhétorique brutale intervient alors que l'opposition tente de mobiliser autrement. Le 23 octobre, l'Union pour le Changement a appelé à une ville morte, invitant les citoyens à rester chez eux pour dénoncer une prétendue manipulation des résultats. Dans ce climat de tension post-électorale, marqué aussi par une coupure d'Internet nationale, la parole officielle semble vouloir reprendre le contrôle du récit, quitter à radicaliser le ton.
Mais cette stratégie de violence verbale institutionnelle n’est pas sans risque. Sur les réseaux sociaux, le terme « psychopathes politiques » est devenu viral, détourné, moqué, réfléchi. Certains y voient une tentative de décrédibilisation, d'autres une preuve de fébrilité du pouvoir face à une opposition qui, bien que minoritaire dans les urnes, reste active dans l'espace public. Le débat politique se transforme en joute psychologique, où l'insulte remplace l'argument.
La figure de Jacques Fame Ndongo, habitué aux tribunes intellectuelles et aux formules choc, joue ici un rôle de porte-voix idéologique du RDPC. En ciblant Issa Tchiroma, il ne s'attaque pas seulement à un homme, mais à une stratégie : celle de l'auto-proclamation, du refus des résultats officiels, et de la mobilisation symbolique. Il oppose la légalité institutionnelle à la légitimité revendiquée, dans un duel qui dépasse les chiffres électoraux.
Cette posture révèle aussi les enjeux de communication politique dans un pays où les médias publics sont souvent alignés sur le pouvoir. La tribune de Fame Ndongo, largement relayée, permet de recentrer le débat sur la légalité, tout en renforçant la posture du RDPC comme garant de la stabilité. Mais elle laisse peu de place à la nuance, et risque d'alimenter la polarisation plutôt que l'apaisement.
Dans une démocratie en construction, la parole politique devrait être un outil de clarification, pas de stigmatisation. En qualifiant ses adversaires de « psychopathes », le ministre Fame Ndongo franchit une ligne rouge : celle qui sépare la critique politique de l'attaque personnelle. Cette dérive sémantique pourrait affaiblir la crédibilité institutionnelle, surtout dans un contexte où la confiance citoyenne est déjà fragilisée.
En définitive, cette tribune est un symptôme : celui d'un système politique sous pression, où les mots deviennent des armes, et où la légitimité se joue autant dans les urnes que dans les récits. Face à cette escalade verbale, il est urgent de réhabiliter le débat, de restaurer la confiance, et de rappeler que la démocratie ne se construit ni dans l'insulte, ni dans le silence, mais dans la confrontation respectueuse des idées.
Gontran Eloundou
Analyste politique
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